Une restauration de Viollet-le-Duc

Deux cartes postales anciennes ont récemment rejoint ma collection, et bien que ne concernant pas les familles et régions traitées principalement par ce blog, je ne résiste pas à l’envie de les partager, car elles illustrent bien les débats et l’évolution de la notion de restauration des édifices anciens.

Elles ont toutes deux le même sujet, le château de Pierrefonds, dans l’Oise, et ont été envoyées en 1901 par la même personne au même destinataire. Nulle doute que cet expéditeur voulait, comme moi aujourd’hui, montrer le travail fait sur ce château. La première carte représente le château en ruines (avant 1860), suite à son démantèlement au début du XVIIe siècle, et une autre après sa restauration, photo prise vers les années 1890-1900. Cette restauration a été entreprise par Eugène Viollet-le-Duc, grâce à Prosper Mérimée, alors inspecteur en chef des Monuments Historiques, pour le compte de son illustre propriétaire, l’empereur Napoléon III.

Jusqu’à récemment, il était de bon ton de critiquer Viollet-le-Duc, parfois très sévèrement. On lui a reproché d’avoir plutôt rebâti que restauré (Pierrefonds en est l’exemple), voire d’avoir dénaturé certains bâtiments (indéniable pour Pierrefonds). En effet, pour Viollet-le-Duc, restaurer, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné. Ainsi, il n’hésitait pas à supprimer des parties anciennes de certains édifices (comme les ajouts gothiques de Vézelay), à les transformer, voire à les restaurer dans un état qui n’a jamais existé (les tours de Carcassonne). Aujourd’hui, on n’imaginerait plus faire comme cela. Une restauration contemporaine s’apparente plutôt à une simple conservation en l’état actuel, on consolide pour préserver. Viollet-le-Duc transformait, rebâtissait le monument comme il aurait du être (selon lui).

Or, il convient de replacer l’œuvre de l’architecte dans son contexte : dans ce milieu du XIXe siècle, on commençait tout juste à prendre conscience de la notion de patrimoine historique. A cette époque, et longtemps après, les élus n’hésitaient pas à faire abattre les antiques murailles pour ouvrir les villes, le clergé rasait ses vieilles églises pour en bâtir de plus grandes, la noblesse bâtissait de nouveaux châteaux en laissant se ruiner les vieux manoirs inconfortables… On doit donc reconnaître que le travail de Viollet-le-Duc a permis de sauver de la ruine un grand nombre de bâtiments médiévaux. Mais Viollet-le-Duc n’était pas seulement architecte, il était aussi archéologue, historien et théoricien de l’architecture médiévale. Constamment, il fait des recherches, apprend de ses échecs et fait évoluer sa pensée. Travailleur infatigable, il a beaucoup écrit, et est l’auteur d’un Dictionnaire raisonné de l’architecture franc̜aise du XIe au XVIe siècle, en 10 volumes, et d’un Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque carolingienne à la Renaissance, en 6 volumes, tous abondamment illustrés d’un peu plus de 4000 croquis de l’auteur…


Plan de Pierrefonds d’après un plan de Viollet-le-Duc.

De nos jours, les travaux de Viollet-le-Duc commencent à être réhabilités. On se rend compte que sans lui, des dizaines d’importants édifices seraient aujourd’hui disparu, ruinés. D’autres auraient peut-être été restaurés, mais probablement moins bien, par des architectes moins savants du Moyen-Âge. Enfin, beaucoup de restaurations faites à cette époque seraient simplement inimaginables de nos jours pour de simples raisons financières. Mais ne le considérons pas comme un simple sauveteur de châteaux et de cathédrales, son héritage est plus grand : ses écrits ont considérablement influencé l’art au XXe siècle, et même si beaucoup sont aujourd’hui obsolètes, tout n’est pas encore à jeter, surtout pas ses croquis… Par ses travaux, Eugène Viollet-le-Duc a contribué à faire avancer nos connaissances du Moyen-Âge, a permis d’élaborer et d’améliorer des méthodes de restauration et de parler de leurs limites (ici dépassées)…

Vue de Pierrefonds restauré d’après un croquis de Viollet-le-Duc.

Ferions-nous mieux que lui aujourd’hui ? Certainement. Mais à sa place, à son époque, aurions-nous fait mieux ? Je ne crois pas. Il est temps de renouveler notre vision de son œuvre, qui finalement ne sera jamais complètement dépassée : elle restera toujours le témoin d’une vision du Moyen-Âge au XIXe, et de la prise de conscience de la nécessité de protéger notre patrimoine architectural, culturel et artistique.

A lire sur Viollet-le-Duc et Pierrefonds

  • Viollet-le-Duc à Pierrefonds et dans l’Oise, actes du colloque organisé en juin 2007 à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de la commande de la reconstruction du château de Pierrefonds, téléchargeable gratuitement sur le site des Editions du Patrimoine (excellente initiative).

NB : Les deux dernières illustrations de cet articles ne sont pas réellement des dessins de Viollet-le-Duc, mais des infographies que j’ai réalisées d’après les croquis de l’architecte. Ce n’est donc pas une reproduction exacte, mais la qualité des images est ainsi meilleure qu’une numérisation de mon exemplaire du Dictionnaire raisonné de l’architecture

– Cet article est sous licence Creative Commons by-nc-sa.

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