Ce que je pense de la norme AFNOR NF Z 44-001

En 1969, l’Afnor, dans son désir de tout régenter, a sorti une norme (*) qui dit que les noms à particules doivent être classés sans tenir compte du mot “de”, car il s’agit d’une préposition. Ce qui est bien pour commencer. Mais ça s’arrête là, car la norme dit ensuite que les articles doivent être pris en compte dans les classements. Ainsi, selon cette norme, “de la Pinsonnais” doit être classé à “la Pinsonnais (de)“. L’éminent fonctionnaire qui a pondu cette norme n’a jamais du ouvrir de dictionnaire, car il se serait vite rendu compte que les articles ne servent pas non plus à classer les noms. S’il avait aussi eu un peu de culture historique, il aurait su que pour ces patronymes, le mot qui suit les particules est le nom de la terre principale de la famille. Considérant cela, pourquoi donc la famille du Plessix, dont les ancêtres ont possédé le Plessix, serait classées à la lettre P, alors que la famille de la Pinsonnais, qui a possédé la Pinsonnais, n’y serait pas ? Il s’agit dans les deux cas d’un toponyme devenu patronyme, il n’y a pas de raison de les différencier.

Cette norme a fait naitre une habitude particulièrement regrettable, celle que des gens mal informés ont prise d’écrire les particules, avec des majuscules, parce qu’ils ne connaissaient que la norme mal faite, et pas les usages… On a donc vu apparaître à partir de ce moment des “de La Pinsonnais“, ce que je trouve complètement idiot car d’une part l’article ne fait pas partie du nom, et d’autre part jamais aucun membre de ma famille jusqu’à aujourd’hui n’a écrit son nom avec un L majuscule. Faites un sondage, demandez aux autres familles concernées : l’usage chez elles aussi était de ne mettre que des minuscules.

Un jour, une personne ayant une très haute opinion d’elle-même m’a objecté que pour sa famille, la majuscule était de mise car lui-même l’écrivait ainsi, et que c’était une marque de respect que d’écrire sa particule en majuscule. Pourquoi pas si cela lui fait plaisir, mais ce n’est pas une raison pour l’imposer aux autres. Il faut aussi respecter la modestie de la majorité des familles à particule nobiliaire qui s’écrivent avec des minuscules. Pour mon interlocuteur, j’avais alors creusé la question, et je m’étais vite aperçu que dans sa famille, qu’avant le XVIIIe siècle, on trouvait généralement son nom en un seul mot, sans particule détachée. Et que le L majuscule n’était apparu que sporadiquement dans quelques document imprimés de la toute fin du XIXe. Un peu comme si “Delavue” devenait “de la Vue” puis “de La Vue”… La généralisation de l’usage des majuscules dans sa famille était resté très marginal jusque dans les années 1960. Cette anecdote nous montre bien que cet usage récent n’est pas très fondé.

Si j’ouvre des livres d’histoire, des nobiliaires ou recueils de généalogie publiés avant cette norme incongrue, on constate bien entendu qu’aucun ne classe les noms particulés avec de la à la lettre L, car leurs auteurs étaient bien conscients que ç’aurait été une hérésie. Allez, quelques exemples au hasard d’ouvrages connus qui ne prennent pas en compte les particules dans leur classement, pour l’édification de ceux d’entre vous qui douteraient encore :

  • Père Anselme, Histoire de la Maison Royale de France et des grands officiers de la Couronne, 1725-1732 (3e ed).
  • François Alexandre Aubert de la Chesnaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse, 1770.
  • Abbé Joseph Nadaud, Nobiliaire du Limousin, 1882.
  • de Courcelles, Nobiliaire Universel de France, 1820-1822.
  • Jean-Baptiste Rietstap, Armorial général, 1861.

Côté breton j’en ai de plus anciens (et plus nombreux dans ma bibliothèque) :

  • Augustin du Paz, Histoire Généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, 1619.
  • Guy Le Borgne, Armorial Breton, 1667.
  • Toussaint Conen de Saint-Luc, Mémoire sur l’état de la noblesse en Bretagne, 1691.
  • Dom Alexis Lobineau, Histoire de Bretagne, 1707.
  • Dom Morice, Histoire de Bretagne, 1754.
  • Couffon de Kerdellech, Recherches sur la chevalerie du duché de Bretagne, 1877-1878.
  • Pol Potier de Courcy, Nobiliaire et Armorial de Bretagne, 1895 (3e ed).
  • Le Gentil de Rosmorduc, La Noblesse de Bretagne devant la Chambre de Réformation 1668-1671, 1896.
  • Paul Paris-Jalobert, Anciens registres paroissiaux de Bretagne, 1898-1914.
  • Le Gall de Kerlinou, Blasons Bretons ou recueil d’armoiries, 1907.
  • Hervé du Halgouët, Inventaire des archives du château de Trégranteur, 1909, et autres inventaires.
  • Frédéric Saulnier, Le Parlement de Bretagne (1554-1790), 1909.
  • Henri Frottier de la Messelière, Filiations Bretonnes, 1912-1924.
  • Etc.

Je pourrais multiplier les exemples sans problème, mais ça reviendrait à lister presque toute ma bibliothèque. Une remarque cependant, qui explique peut être le texte de l’auteur inculte de NF Z 44-001 : souvent, les noms sont cités dans les index avec leur particules, donnée avant. Ainsi, on écrit du Breuil ou de la Houssaye dans l’index, mais on les range bien entendu respectivement aux lettres B et H. Une autre forme qu’on trouve bien souvent et qui est informatiquement pratique est d’écrire Breil (du) et Houssaye (de la) pour faire un classement automatique à B ou H. Mais jamais un index bien fait ne les mettre à D ou L. Et regardez donc comment les auteurs concernés écrivent eux-même leurs noms : avec des de et la minuscules…

On pourra m’objecter qu’il y a eu des usages différents dans d’autres provinces, où des noms ont comporté des particules non-nobiliaires comme De Gaulle ou Le Du, et que dans ce cas, il faut mettre un D majuscule et classer à D. Certes, des exceptions existent toujours, mais ce n’est pas une raison pour imposer cet usage contre nature et contre raison au plus grand nombre, et l’ériger en norme (voire en dogme pour certains).

L’immense majorité des associations généalogiques s’est emparé de cette norme sans se poser de question, et c’est pratiquement le seul milieu à l’avoir autant diffusé et imposé. Des administrations s’y sont mises aussi, rarement de façon systématique, mais cela a causé pas mal de dégâts.

Une anecdote pour l’illustrer. Jusqu’à la fin des années 90, mes parents étaient classés à la lettre P dans l’annuaire téléphonique, ce qui ne posait aucun problème. Un jour, ils ont informé mon père que leurs directives leur imposaient un changement, et qu’ils classeraient dorénavant à L. Mon père a objecté que ce n’était pas l’usage et que les gens risquaient de ne pas nous retrouver dans l’annuaire. Les gens de l’annuaire ont donc rangé mes parents à H comme Hochedé de la Pinsonnais, ce qui est correct car c’est notre patronyme complet, mais pose encore plus de problème, car depuis 200 ans, les gens ne nous connaissent que sous le nom usuel de “de la Pinsonnais”. Plus personne ne trouve donc mes parents dans l’annuaire, à part les vendeurs de fenêtres et de vérandas. Mais rassurez-vous, 40 ans après son avènement, NF Z 44-001 n’a toujours pas réussi à s’imposer, car le reste de la famille s’est retrouvé classé à De La Pinsonnais. La preuve que quand une norme est mal faite, elle est mal appliquée, et donc inutile.

Au même moment (soit 30 ans après la norme), cas similaire au Bottin Mondain : ils ont désormais informé mes parents qu’ils ne seraient plus classés à P, mais à H, avec un renvoi toutefois depuis la lettre L. Résultat, toutes les personnes utilisant cet ouvrage n’y trouvent plus notre famille. C’est dommage pour un annuaire. Moralité : NF Z 44-001 complique la communication entre les gens.

Certaines administrations, au moment de leur informatisation, ont suivi cette norme, probablement parce que les informaticiens qui sont des gens très (trop) cartésiens prenaient les norme comme des dogmes (je sais de qui je parle, j’en fais partie). Côtoyant et travaillant avec ces administrations, certains historiens ou éditeurs se sont laissés contaminer, et ont cédé à cette mode, sans avoir eu le réflexe salutaire de se dire qu’il valait mieux suivre les usages séculaires et raisonnés que les normes mal faites. Amis historiens, chercheurs et généalogistes, faites preuve de bon sens et laissez tomber les mauvaises habitudes de NF Z 44-001. Après tout, NF Z 44-001 n’est pas une loi, ça n’a rien d’obligatoire et ce n’est même pas justifié. C’est juste un texte fait pour montrer que les français sont capables de normaliser n’importe quoi en dépit du bon sens. Faites comme moi, continuez de faire vos index et classements comme le veut l’usage, comme l’ont fait vos illustres prédécesseurs depuis des siècles, c’est-à-dire sans tenir compte des articles.

Ayez le bon réflexe, jetez NF Z 44-001 à la poubelle !

NF Z 44-001 à la poubelle !
NF Z 44-001 à la poubelle !

Voici donc ce qu’aurait pu dire NFZ44-001 à un grand généalogiste breton : Monsieur Frotier de la Messelière, vous ne savez pas écrire votre nom, dorénavant vous vous appellerez Frotier de La Messelière, car tel est mon plaisir !

(*) En fait, l’AFNOR n’a même pas écrit elle-même cette norme. Constatant un jour qu’il existait des domaines où elle ne régnait pas encore en maitre, et où le bon sens était encore appliqué, elle a senti nécessaire d’imposer sa façon de voir, de préférence différente de ce que préconise le bon sens, uniquement pour démontrer son influence et ses capacités à modéliser de nos petits cerveaux dociles. Elle a pris le premier texte qui passait et l’a érigé en norme dogmatique. Sans se préoccuper de savoir si c’était fondé et pratique, ou si cela correspondait à l’usage scientifique, commun, raisonné et utilisé depuis des siècles. Non, ce n’est pas le but de la norme que de faire les choses intelligemment. Son but est de normaliser normaliser normaliser normaliser normaliser le plus de choses possibles, peu importe comment.

 

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4 thoughts on “Ce que je pense de la norme AFNOR NF Z 44-001

  1. Et pour finir de montrer que la norme NF Z 44-001 a été faite en dépit du bon sens, il suffit de regarder comment on classe les noms des lieux quand ils sont traités comme tels. Pour ça, prenons la très sérieuse et officielle liste de lieux INSEE : les articles précédant ces noms de lieux ne sont pas pris en compte pour le classement, si bien qu’on retrouvera Le Mans, La Rochelle, La Boussac et La Chapelle-du-Lou classés respectivement à M, R, B et C. Et donc la Pinsonnais sera bien à P. La particule dite nobiliaire (et qui donc ne s’applique pas qu’aux familles nobles, la preuve avec mon nom) "de la" désignant une appartenance géographique, ce qui suit est donc d’abord un nom de lieu. On ne voit pas pourquoi le classement se ferait différemment dans ce cas. Parce qu’un bureaucrate amidonné l’aurait décidé ? Ne soyez pas aussi bête que lui et jetez NF Z 44-001 à la poubelle.

  2. oui mais seul le "de" désigne une appartenance géographique. Le "La" est bien souvent le début du nom d’une seigneurie. Avant le XVI e siècle il était de bon usage de mettre seulement les "La" en majuscule, et c’est après qu’il est devenu en minuscule. Il est tout a fait logique d’ecrire un nom tel que H de La Cotentière par exemple si le fief était "La Cotentière" et non pas "la Contentière"

  3. Bonsoir 4456 (?),

    Je ne suis pas tout à fait d’accord. J’ai rarement vu des L majuscules aux articles dans les manuscrits du XVIe. Ou plutôt si : ils en mettent partout, mais pas plus aux noms propres qu’ailleurs. Jusqu’au XIXe l’emploi de majuscules ou pas n’a aucune signification, ils n’en mettaient d’ailleurs systématiquement en début de phrase (d’ailleurs la ponctuation était quasi-inexistante). Les règles de transcription de l’époque médiévale à l’époque moderne sont unanimes : il ne faut pas respecter les majuscules ou la ponctuation du texte, il faut les rétablir comme le fait l’usage actuel. Ainsi, la phrase "j’ai tué un Loup Le Mardi de La saint-michel" sera transcrite en "J’ai tué un loup le mardi de la Saint-Michel". En fait pour cette époque ce ne sont pas des majuscules au sens où on l’entend de nos jours, ce sont d’abord et surtout des particularités graphiques différentes suivant les scribes. La preuve en est qu’il n’y a aucun usage cohérent qui en est fait, et que n’importe quel mot commençant par la lettre l nous semblera écrit avec une majuscule. C’est simplement que la forme des lettres change pour certaines (l, s, t…) suivant qu’elle est en début de mot ou pas.

    Je trouve donc votre affirmation comme quoi il était de bon usage de mettre des majuscules avant le XIVe totalement infondé. Au contraire, pour connaitre l’usage, il suffit de prendre les ouvrages imprimés et de regarder comment ils traitent la question : à une écrasante majorité, ils mettent des minuscules, c’est d’ailleurs l’un de mes arguments ci-dessus.

    Un autre de mes arguments est que le La n’est pas le début d’un nom, c’est un article. Il n’est donc pas logique d’y mettre une majuscule. D’ailleurs, si vous avez bien lu mon premier commentaire, et si vous appliquez les règles en usage pour le classement des noms de lieux (appliqué par l’Insee par exemple), vous verrez bien que Le La Les ne sont pas pris en compte pour le classement alphabétique des noms de lieux, ce qui signifie, logiquement, que ces articles ne font pas partie du nom. Donc le bon usage veut qu’on écrive la en minuscules.

  4. Intéressant mais dilemmique votre échange, d’autant que vous semblez avoir tous deux à moitié raison. (Attention le tort tue). De, comme le, la, les ne devraient effectivement pas prendre de capitales. Hors toutes vanités, cela n’intègrerait aucune logique. Pour autant, ne fait-on pas erreur en disant et surtout écrivant : Nous allons au(x) Mans au lieu de : Nous sommes à Le Mans ? (toutes excuses pour l’ambiguïté, je n’ai pu m’en empêcher). Le bas de casse au l de Le Mans reste définitivement inapproprié quand la capitale déclasse Le comme article, qu’il semble être mais n’est pas ou plus. Ici dans l’exemple, Le Mans est bien à rechercher à L et non à M (sauf à aller se perdre à Mens), quand il ne viendrait effectivement pas à l’esprit de chercher de la Pinsonnais autrement qu’à P. Messieurs, serviteur, mais au plaisir.

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