Dessiner un blason avec Inkscape (2)
Quelques partitions
Après la première partie de ce tutoriel, vous avez probablement eu envie d’aller plus loin. Nous allons donc aujourd’hui apprendre à dessiner quelques partitions, et vous devriez être en mesure, à la fin de ce tutoriel, de les dessiner toutes.
Nous allons pour ce tutoriel réutiliser l’écu que nous avons dessiné la semaine dernière.
L’écartelé
Pour faire un écartelé, il faut diviser le champ de l’écu en quatre parties distinctes et surtout indépendantes, afin de pouvoir leur associer des couleurs différentes.
Commençons par dessiner des bandes séparant le champ en quatre. Dessinons un rectangle noir (outil cerclé en rouge), et pour connaître exactement ses dimensions, assurons-nous qu’il n’ai pas de bordure. Sélectionnez le rectangle dessiné et cliquez sur l’icône encerclée en vert pour ouvrir la fenêtre de propriétés de l’objet. Dans le second onglet, supprimez la bordure (cercle bleu).
Positionnez et dimensionnez ce rectangle pour qu’il soit horizontalement centré, et qu’il dépasse en haut et en bas du champ. Ce rectangle déterminera la séparation verticale entre les quartiers de l’écartelé, réglez donc sa largeur pour qu’elle corresponde à un espacement correct. Dupliquez ce rectangle (Ctrl+D) et faites-le tourner de 90° (cliquez dessus pour faire apparaître les poignées de rotation, et faites-le tourner en appuyant sur la touche Ctrl pour qu’il tourne d’angles multiples de 22,5°). Cette nouvelle forme sera celle qui déterminera la séparation horizontale. Remontez-la pour la positionner de façon à ce que les quatre quartiers soient équilibrés. Enfin, sélectionnez ces deux objets, et réunissez-les en un seul (Shift-Clic pour ajouter un objet à la sélection, puis Chemin->Union pour les réunir en un seul objet).
Sélectionnons maintenant ce nouvel objet et le champ à découper. La suite est simple, il suffit de faire Chemin->Différence, pour découper le champ suivant notre objet, et le fond noir de l’écu apparaitre derrière (ce qui aurait plus évident si j’avais fait ma croix en une autre couleur). Le champ est donc maintenant une union de quatre quartiers. Pour les rendre indépendant et donc pour pouvoir les colorer séparément, faites Chemin->Séparer. Et voilà, c’est terminé, les quartiers sont colorables indépendamment… Sauvegardez ce dessin pour ne pas avoir à refaire toute l’opération si vous avez à dessiner un nouvel écartelé.
Exercices : faites maintenant un parti, un coupé, un tranché, un taillé et un gironné (attention à faire un beau centre pour le gironné)…
Le chef
On pourrait faire un chef exactement de la même façon. Mais l’inconvénient est qu’on ne pourrait pas le redimensionner suivant les meubles qu’il contient (ou pas), et ceux du reste de l’écu. Voici donc une autre façon de faire qui permet une utilisation bien plus souple.
Le chef est une pièce rectangulaire, je vais donc simplement superposé un rectangle à mon écu. Il faut cette fois lui donner un contour, et le positionner exactement (Ctrl+molette souris pour zoomer), pour que les bords supérieur haut, gauche et droit correspondent à ceux de l’écu. Ensuite, il suffit de déplacer le bord inférieur du rectangle pour avoir un chef plus ou moins haut…
On peut faire une fasce de la même façon, mais ce n’est plus très valable si votre écu a une forme ancienne (les deux bords dextre et senestre ne sont rapidement plus parallèles)…
La bande
La technique utilisée pour le chef est utile car elle se met en œuvre facilement et très rapidement, les contours du chef s’alignant naturellement avec ceux de l’écu. Ce qui n’est pas le cas pour une bande ou une barre. Pour en faire une, commençons donc par faire un rectangle avec bordure. Dimensionnez bien la largeur du rectangle, car ce sera celle de notre bande, et elle sera plus tard moins facile à modifier. Cliquez sur le rectangle pour faire apparaître les poignées de rotation, et positionnez le pour en oblique, pour qu’il prenne exactement la place de la bande.
Nous devons maintenant masquer les éléments qui dépassent du champ. Or, Inkscape offre la possibilité de masquer ou d’afficher partiellement un objet suivant un masque. Ce masque, nous le connaissons, c’est le champ. Sélectionnons-le et dupliquons-le (Ctrl-D). Ce nouvel objet sera notre masque, et il doit être au-dessus de l’objet masqué. Sélectionnons-le, avec notre bande. L’opération magique est Objet->Masque-Définir. L’objet au dessus sera le masque, et l’objet du dessous dera celui qui est masqué (en fait, ici, le masque définit la partie à afficher). Et c’est terminé…
Exercices : faites maintenant une barre, un pal, une fasce…
Le chevron
Maintenant que vous avez compris le principe, faire un chevron ne devrait pas vous poser de problème. Je vais quand même un faire un premier avec vous… Faisons un nouveau rectangle que nous positionnons en oblique, avec un angle de 45° (appuyez sur la touche Ctrl pendant que vous le faites tourner). Dupliquons-le (Ctrl-D, vous devez maintenant le savoir par cœur). Appliquons à cette seconde bande une symétrie verticale (icône cerclée de rouge) et positionnons-là pour qu’elle fasse un chevron avec la précédente (soyez le plus précis possible).
On peut aussi faire cet alignement avant la rotation de 45, avec les outils d’alignement d’Inkscape (je les expliquerais au prochains cours). Sélectionnons les deux parties du chevron et réunissons-les dans un seul et même objet (Chemin->Union). La fin, vous la devinez… positionnez le chevron sur l’écu, et comme la bande, appliquez-lui un masque.
Exercices : Faites un sautoir, une croix…
Maintenant, vous devez être en mesure de faire toutes (ou presque) les partitions et pièces honorables avec Inkscape…
– Cet article est sous licence Creative Commons by-nc-sa.
Si vous avez des questions, n’hésitez pas à les poser de préférence ici, comme ça tout le monde pourra en profiter et je pourrais améliorer le tutoriel. Surtout, n’hésitez pas à faire les tutoriaux basiques d’Inskape auparavant, et vous verrez, c’est finalement assez simple.
Encore bravo Amaury pour ces tutoriaux. Quelques précisions concernant les dimensions des pièces, d’après le dictionnaire héraldique de D. de Mailhol :
La hauteur du chef est égale à 2/8 de la hauteur de l’écu.
La largeur du chevron est égale à 2/7 de la largeur de l’écu.
La largeur de la bande est égale à 2/7 (ou 1/3 selon d’autres auteurs) de la largeur de l’écu.
Deux bandes ont chacune 2/7 de la largeur de l’écu.
Trois bandes ont chacune 3/14 de la largeur de l’écu.
Bonjour Gilles,
En fait, j’ai un effleuré le sujet des proportions dans cet article, quand je dis que je préfère pour le chef, poser une forme rectangulaire au-dessus du champ : je peux ainsi en redimensionner la hauteur comme je veux.
Et c’est bien là un point fondamental en héraldique : aucune pièce n’a jamais eu de proportions académique stricte. Donc quoiqu’en dise Mailhol et surtout tout ceux qui l’ont précédé et qu’il reprend, ces dimensions sont ni plus ni moins que du pipeau (là je sens que je vais en décevoir plus d’un…) et surtout pas fixes. Pour preuve, tout ces auteurs donnent (presque) chacun des proportions différentes. En fait, tout cela a été introduit principalement au XVIIe, et aucune de ces règles fixe n’a de fondement. La fin du XVIIe siècle et le XVIIIe, c’est l’essor de la science et du cartésianisme. On se met à vouloir tout mesurer, rationaliser, théoriser. Malheureusement, l’héraldique en a fait les frais, et on voit apparaître ceux que j’appelle les "théoriciens" du blason, qui se mettent à réinventer l’héraldique, à vouloir la faire rentrer dans des cadres normés, sans vraiment tenir compte de la réalité et encore moins des origines de cette science (il est même probable qu’ils n’en connaissaient pas grand chose). Ils ont donné des proportions fixes aux dessins et inventé un langage précieux. Ces gens-là sont Paillot, le père Ménestrier et autres, trop souvent pris pour des références, alors qu’ils sont à l’origine de cette dégénérescence qui aura pour apogée le XIXe siècle. Ils ont présenté des ordres de grandeur (entre un tiers et un quart par exemple pour un chef) en des rapports fixes et immuables qu’il convient de respecter strictement.
En fait, toutes ces méthodes où le blason est mathématisé, codifié, embrigadé, a dénaturé cet art et a fait considérer l’héraldique comme une science prétentieuse et ésotérique. Presque tous les manuels du XIXe sont à mettre à la poubelle (j’exagère à peine), la plupart de ceux du XXe sont à peine moins mauvais. Ils ont surtout compliqué beaucoup de choses et en ont introduit beaucoup d’autres inutiles. En fait, je ne recommande que deux bouquins : L’héraldique, de Pierre Joubert, déjà cité ici, surtout pour ces illustrations (en fait il n’y a pas grand-chose de plus d’intéressant dans ce bouquin), et le Traité d’Héraldique de Michel Pastoureau, qui est à ma connaissance le meilleur de ce qui a écrit, même si je n’ai pas encore tout lu. Aucun de ces deux livres ne vous apprendra à dessiner ou décrire un blason, et si vous les achetez pour ça, vous serez déçus. Mais le Traité d’Héraldique de Pastoureau est bien mieux que ça, car en revenant aux origines médiévales, il remet les choses à leur place. Si vous ne l’avez déjà pas encore, courez l’acheter (avant de brûler les autres).
Revenons aux proportions : les seules et uniques bonnes proportions sont celles qui feront un beau blason. Et voilà. Donner des proportions fixes aux partitions n’a d’ailleurs pas de sens quand on sait que l’écu n’est qu’un contenant, et que le blason peut prendre place dans d’autres formes (rond, carré, ovale, losange) ou même ne pas avoir de contour. Et même si on le met dans un écu, les proportions ne pourront pas être les mêmes suivant la forme de cet écu. Par exemple, pour un écu ancien, il faut systématiquement décaler le centre du blason vers le haut pour laisser de la place aux meubles de la partie inférieure. Sauf s’il y a déjà des meubles en haut et rien en bas. En fait, les proportion d’une pièce ou partition dépendent du reste de l’écu.
Prenons un blason, d’argent à la fasce de gueules chargée de trois étoiles d’or. Si je mets ma fasce à 2/7 de la largeur de l’écu (premier dessin), mes étoiles vont être rikiki, semblant être coincées dans ce peu d’espace. Cela sera accentué par leur couleur, alors qu’autour on a les 5/7 (ou plus) de la surface de l’écu qui resteront désespérément vide. Ce sera pire avec 2/8 comme le préconisent certains. Si au contraire je prend un peu de liberté et que j’augmente la hauteur de la fasce, ce sera beaucoup plus harmonieux, mes étoiles auront l’air plus grandes et pourtant moins coincées en hauteur (second dessin).
Je continue sur cet exemple : si j’ai mes meubles cette fois accompagnant la fasce, elle n’aura pas la même hauteur (exemple ci-dessous). Et pire encore, si j’ai deux meubles en haut et un seul en bas, comme sur mon second dessin, je peux décaler ma fasce vers le bas pour donner plus d’espace à ceux du haut, l’étoile du bas en ayant moins besoin.
La fasce du premier dessin a plutôt une hauteur d’un tiers (de la hauteur totale de l’écu), la seconde est plus proche du quart.
De façon empirique (mais aussi statistique sur les dessins médievaux), on peut dire que les proportions des blasons médiévaux sont plutôt de plus ou moins un tiers pour la hauteur du chef, la largeur de la fasce, celle de la bande, etc… Un peu moins pour le chevron, mais s’il est seul, n’hésitez pas à le faire gros. Quel que soit le nombre de bandes ou de fasces, il faut que l’espace entre chacune soit égal à la largeur des pièces. S’il y a d’autres meubles, il faut que ces espaces soient plus ou moins égaux à la largeur des pièces (exemple ci-dessous, mes fasces sont plus hautes mais ça ne se voit que quand on le sait).
Bref, pour simplifier, une seule chose à retenir, les bonnes proportions sont celles qui rendent le dessin agréable à voir. Et oublions le reste 🙂
Et contrairement à ce qu’en disent certains qui le portent aux nues, je mets également L’art héraldique de Gérard Audouin au feu, justement parce qu’il fait grand cas des proportions et préciosités inutiles et nuisibles à l’héraldique.
PS : je dis ça parce qu’on me demande en privé ce que je pense de ce livre récent, mais je ne l’ai que feuilleté en librairie. Et ne vous fiez pas aux avis des libraires en ligne : leur intérêt est que vous achetiez ce bouquin, pas que vous deveniez un bon héraldiste.
Bonjour Amaury. Je n’avais pas vu ta longue réponse du 18 juin. Désolé de ne répondre que maintenant. Quand j’avais fait ma remarque sur les proportions, c’était en fait surtout pour savoir ce que tu en pensais. J’adhère complètement à tout ce que tu dis et j’aime bien ta façon d’aborder l’héraldique ou, disons, ton état d’esprit par rapport à ça.
En repensant à Pierre Joubert, j’ai trouvé sur internet un livre de lui de 91 pages en téléchargement gratuit. Je ne donne pas l’adresse parce que je trouve cela un peu bizarre…
Bonsoir Gilles,
Merci, j’essaye en fait de replacer le dessin héraldique dans son contexte historique, car contrairement à une idée reçue en héraldique (il y en a tant), c’est un art qui a évolué et qui était loin d’être figé. Rarement une famille n’a porté qu’un seul blason, elle en a le plus souvent porté plusieurs variantes, qui dépendaient en partie des modes et des goûts des époques, ainsi que du talents des graveurs, peintres et dessinateurs…
91 pages, c’est louche, car le livre sur l’héraldique de P. Joubert en fait 92 (il y a eu plusieurs éditions), ça ressemble bien à une violation du droit d’auteur. Pierre Joubert était un illustrateur plutôt proche du mouvement scout, décédé il y a une dizaine d’années. Comme je ne connais pas vraiment ce milieu, je ne peux en dire plus, mais ça veut dire que l’ouvrage ne sera pas libre de droits avant une soixantaine d’années. Enfin, je sais que ses ayants-droits sont vigilants quand à l’utilisation et à la protection de son œuvre.
Bonsoir à tous.
Je tombe sur les propos de Amaury de la Pinsonnais et éprouve le besoin d’y réagir.
Dire qu’aucune pièce n’a jamais eu de proportions académiques, et que ces dimensions sont "pipeau" est une absurdité. En fait il y existe un standard implicite, que les différents auteurs "récupèrent" à leurs sauces lorsqu’isl rédigent leur dictionnaire. Ce qui vous échappe dans la théorie, c’est la notion de tolérance – au sens technique du terme = la latitude de faire varier la norme selon les circonstances, ce que vous exprimez comme étant la règle. Un standard de proportion – avec ses latitudes – est indispensable, l’esthétique est loin de suffire: une bande est très esthétique, une cotice aussi. Quelle règle d’esthétique permettra jamais de distinguer une bande d’une cotice ?
Donner comme preuve que ces proportions n’existent pas sous pretexte que chaque auteur y va de sa petite fraction, est également irrecevable, car à ce compte bien des figures définies très diversement selon les auteurs doivent disparaitre, comme l’anille/fer de moulin entr-autres.
Libre à vous de brûler vos livres, peut-être serait-il plus judicieux d’apprendre à s’en servir, et par leur nombre et par recoupement essayer de dégager des principes…
Quand à laisser penser qu’avant le XVIII on ne souciait pas de proportion, je vous invite à jeter un oeil sur le dictionnaire de Bara ((1604) (qui n’est pas ma bible, au même titre que n’importe quel ouvrage; Joubert et Pastoureau y compris, n’étant pas excempts d’erreurs ni de part-pris – sur demande, je peux en citer qqunes.)
Audoin pêche selon vous, "justement parce qu’il fait grand cas des proportions" . Tout l’art grec et après lui celui des cathédrales etc etc est basé sur la notion de la proportion, tout ça sans doute ne peut être esthétique et ne mérite que le bûcher…
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais je vais m’en tenir à l’essentiel, curieusement persuadé que mon propos va se heurter à la fière assurance des pseudos à particule…
Bonsoir "SSire",
Je voudrais vous rassurer, cher anonyme qui semblez avoir peur des pseudos à particule : ce n’est pas mon pseudo, c’est mon vrai nom. Je n’ai pas besoin de pseudo sur Internet. Quand à la connaissance de l’héraldique que je pense avoir acquise, oubliez vos préjugés, la particule n’a rien à voir là-dedans. Il n’y a pas de gènes donnant des connaissance innées qui seraient réservées aux particulés. J’essaye simplement de partager ici le peu d’expérience que j’ai acquis jusqu’à ce jour à travers mes recherches historiques (et héraldiques). Je suis encore loin d’avoir tout dessiné, mais peut-être y arriverais-je un jour (*).
Pour en revenir au reste de vos propos, je crois que vous vous êtes mépris sur le sens du commentaire que vous attaquez (courageusement masqué). Je suppose que vous l’avez lu, rapidement, en diagonale, comme on le fait trop souvent sur les sites Internet. Je suppose donc que vous serez surpris d’apprendre que moi-même, ô grand pourfendeur auto-proclamé d’héraldistes du XIXe, j’y donne des proportions pour un chef, une fasce et une bande ! Quelle hérésie, alors que j’ai écrit dans ce même commentaire que c’était du pipeau !
En fait, si vous prenez le temps de lire correctement ma prose d’il y a 14 mois, vous verrez que le pipeau, ce sont les rapports intangibles et gravés dans le marbre pondus par les différents héraldistes qui nous ont précédés. Je dis au contraire, tout au long de mon commentaire, non pas qu’ils n’existent pas, mais qu’ils ne sont qu’ordres de grandeurs, à adapter selon les circonstances, les meubles, la forme de l’écu, votre humeur, etc… En gros il faut les moduler, bref, j’explique précisément ce principe de tolérance que vous feignez de ne pas voir (pourtant j’avais même fait de belles images pour ceux qui ne lisent qu’une ligne sur deux). Lisez bien, c’est en gras dans le texte "plus ou moins un tiers". Si c’est pas de la modulation de tolérance ça…
Quand à brûler des livres, c’est un forfait que je n’ai encore pas commis et que je me vois mal commettre. Probablement n’avez-vous pas saisi que ce n’était qu’une petite provocation, destinée à faire comprendre à mes lecteurs qu’il faut lire ces traités avec un esprit critique. On n’apprend pas l’héraldique, art vivant et mouvant, en lisant des livres de théories, ni même en se faisant sa compilation de règles de manuels, comme vous le suggérez, mais en pratiquant, en l’observant à travers l’histoire, en tentant de voir comment les gens de ces époques percevaient ce système, comment, où, pourquoi il a évolué, sa perception a changé…
J’aimerais tant que les personnes, de plus en plus nombreuses de nos jours, qui s’intéressent à l’héraldique ne s’arrêtent pas aux manuels froids et théorisant à l’extrême qui pullulent et qu’il est si facile de considérer comme des références ! L’héraldique est née au XIIe siècle, au départ il n’y avait pas de manuels ni de codifications alambiquées à la Jouffroy d’Eschavannes. C’est un modèle – n’ayant RIEN à voir avec l’art grec – né au sein d’une certaine élite féodale qui, concentrant en une image des valeurs et une symbolique (dans le sens culturelle, pas ésotérique), a eu un succès rapide et a été adopté par toutes les classes sociales. La seule règle de base (alternance des métaux et des émaux) a été complétée par d’autres au fil du temps, parfois en bien, souvent en mal, avec une nette accélération aux XVIIe et XVIIIe. Beaucoup ont inventé des règles et des termes pédants pour décrire des blasons qui n’avaient pas besoin de ça pour exister bien avant eux. On n’a pas besoin des livres dont vous tirez vos compilations de règles pour comprendre l’héraldique médiévale…
L’héraldique est un système mouvant et évoluant, avec les modes, les gouts, les tendance et les idéologies des époques qu’il a traversé. L’image – héraldique – du Moyen-âge est à lire dans le contexte du Moyen-Âge, pas avec le regard d’un traité de Palliot ou celui de l’article de l’Encyclopédie. Leurs règles ne sont pas rétroactives et ne s’appliquent qu’à leur époque. Et l’héraldique de Robert Louis non plus ne se lit pas aux lumières du père Menestrier. C’est normal, ces ouvrages sont tous empreints de l’époque à laquelle ils ont été rédigés, ils posent un filtre sur les valeurs que véhicule le système d’image qu’ils tentent de décrire et qui de plus, on l’a vu, est mouvant. Mieux, un traité du blason ne décrit pas tout le système héraldique, il ne décrit qu’un sous-système, tel que l’auteur du traité le voit lui-même. Mais ça ne reste qu’une vision subjective d’un système culturel qui reste plus complexe que ce qu’en décrit cet auteur, et duquel il fait lui-même partie, et contribue d’ailleurs à faire évoluer en imposant son regard à ses lecteurs (thème très intéressant pour l’historiographie des traités d’héraldique qui reste à faire).
Et pour continuer dans cette direction, voici une évidence que ne savent pas voir vos théoristes/terroristes du blason : les armoriaux sont plus qu’une simple collection de dessins ou de descriptions, c’est aussi et d’abord un genre littéraire, avec différentes traditions. Ils peuvent nous en apprendre beaucoup sur leurs auteurs et la culture (entre autre iconographique) de leur époque et de leur région. On ne lit pas un rôle d’armes du XIIe comme l’Armorial breton (XVIIe) de G. Le Borgne, et encore moins comme un armorial puisant dans les Réformation de la fin de ce même XVIIe. L’héraldique provençale ne se lit pas comme en Normandie ou en Saxe. Les représentations (les dessins) de blasons que vous voyez sur les gravures, les peintures, les vitraux, les tombeaux ou les sceaux ne sont pas neutres, ils véhiculent une idéologie et des valeurs non seulement par leur présence mais aussi par leur présentation. Et ça, Gérard Audouin ne vous apprendra pas à le voir. Pourtant c’est essentiel. Et même pour les ouvrages contemporains, l’Armorial de l’ANF est idéologiquement radicalement différent de l’Armorial de France et d’Europe du marchand d’armes Frédéric Luz.
Par pitié, prenez du recul quand vous lisez un ouvrage héraldique ! Il y a toutes sortes de facteurs – historiques, géographiques (et donc culturels), idéologiques mais aussi pratiques ou artistiques – qui font que non, il n’existe pas d’héraldique figée et universelle.
Désolé d’avoir fait (encore) un long commentaire, j’espère que vous le comprendrez mieux que le premier 🙂 Ne prenez pas tout au pied de la lettre, par exemple, là où il y avait une étoile (*) au début de cette réponse, il y avait aussi une pointe d’ironie. Saurez-vous aussi retrouver les quelques pincées d’humour disséminées dans ce texte 🙂 ? En tout cas, merci d’avoir réagi malgré votre masque. Ceci dit, prenez du recul en lisant cette réponse, ce que j’écris est comme l’héraldique, mouvant et peut-être destiné à faire passer un message…
PS pour mon anonyme ami SSire : tout ceci relève plus de la théorie du blason et de l’historiographie héraldique que du sujet lui-même du billet. J’espère au moins que mes modestes cours vous auront plus. Ca reste quand même le plus important dans l’histoire 🙂